Mon «boutte» retrouvé!

Désolé de décevoir l'amateur de sensationnalisme qui sommeille en vous, mais cette inoffensive petite histoire de «boutte» retrouvé que je m'apprête à vous narrer n'a strictement rien à voir avec le «retour à la vie» surmédiatisé de John Bobbitt[1], lequel, rappelez-vous, n'avait pas que la mémoire ou la honte de courtes consécutivement à une certaine intervention, plutôt tranchante et invasive, de sa «tendre» moitié sur sa masculine personne…

Le mât hyper-canté de l'on ne peut moins olympique stade Taillibert était toujours en mal d'érection quand, fin 1977, après quatre longues années d'un exil à demi volontaire – ou plutôt à demi forcé – dans l'ottavienne Capitale nationale, j'ai eu cette chance inouïe de pouvoir revenir vivre dans ce que j'appellerai toujours affectueusement mon «boutte». Imaginez, on m'offrait la maison voisine de celle qui m'a vu grandir : bien sûr que j'ai acheté… Moi, quand le destin parle, j'écoute, et s'il décide de frapper, je baisse docilement ma garde.

L'église, l'inévitable, l'incontournable église est toujours là, fidèle à mes souvenirs «hamiltoniens[2]», qui dresse son clocher, mais de façon moins orgueilleuse, oserais-je dire. J'en parle en premier, car c'est tout de même là que je suis devenu successivement communiant solennel, «déserteur» agnostique, époux en smoking et, enfin, papa d'une baptisée : c'est pas rien!

En face de la maison des «agenouillés» se découpe le terrain de jeux. Même dardé au cœur par l'ombre matutinale du clocher, le «parc» semble mettre plus de temps à s'animer qu'à l'époque de mes culottes courtes…; il n'en finit pas moins par résonner des rires et des cris pointus d'une bande de flos lâchés lousse!

Jadis joyau chatoyant de cet îlot de verdure, la piscine extérieure, lieu privilégié de mes premiers ébats natatoires, s'est comme figée en un vénérable et froid monument… tout lézardé et presque oublié… et, ce qui est plus navrant, désormais inutile. Elle fait vraiment ses presque cinquante ans, la pauvre! Ah! que de tristesses – au pluriel – j'y ai noyées… que de joies – toujours au pluriel – y ai-je pourtant puisées! Enfin!…

Plus près de chez moi, y'a le snack bar du coin qu'on a «revampé» en dépanneur : derrière le même vieux comptoir vitré des «bonbons à’cenne», Ma'me Chénier a cédé sa place à un monsieur chinois, ancien professeur de philosophie à l'anglais approximatif et au français… disons hasardeux; je ne sais trop pourquoi, mais chaque fois que je cède à l'innocente (?) tentation de lui acheter un billet du mirifique loto 6/49, je me sens littéralement découper en rondelles par l'œil à la fois triste et réprobateur de Confucius, qui pourrait tout aussi bien – je parle de l'œil – appartenir à Lao Tseu. Sans doute le vil appât du gain qui me fait culpabiliser de la sorte. Décidément, j'ai dû trop lire dans ma vie… ou pas assez… ou fort mal… à moins, tout simplement, que la sagesse orientale[3], dont l'appréhension passe par une lente décantation de cette matière palpable mais invisible qui s'agglutine «entre les lignes», ne soit inaccessible au bel esprit se réclamant de Descartes et à l'être bassement matérialiste qui, à eux deux, composent une image somme toute assez fidèle de l'homo occidentalis, image qui révèle celui-ci dans toute sa splendeur clinquante et chromée…

Oupse! c'est que me voilà en train de digresser joyeusement, «moi-là»! Excusez-la! Je poursuis donc, dans la bonne direction cette fois : vous savez, ce qui, dans mon «boutte» retrouvé, me remplit d'un bonheur proprement  achevé, c'est la vie de ma rue – la rue Labonté, pour ne la point nommer –, une vie tellement différente d'avant… et si pareille en même temps, surtout quand on regarde du côté des activités «extérieures» des enfants. Oui, du hockey-bottines à la «cachette», en passant par le ballon-chasseur et la vulgaire «couraille», tout concourt à me rappeler l'insouciance heureuse de ma propre jeunesse.

Je regarde mon fils de dix ans «découvrir» les mêmes coins et recoins, se livrer aux mêmes jeux, céder aux mêmes tentations vénielles que moi… trois décennies plus tard… et ça me rend tout chose, sans pour autant réussir à me filer le cafard.

À l'épique époque de mes dix-huit ans, la ville était encore littéralement coupée en deux par une voie ferrée. Ah! la track! c'est elle qui fut le témoin, pour ne pas dire la cause directe de mes premiers vrais émois de jeune homme! Eh bien! on l'a transformée en piste cyclable, cette même track, forçant du coup notre belle jeunesse vigoureuse à passer des grands «transports» aux p'tits! L'endroit demeure romantique, certes, mais c'est hélas beaucoup plus passant, donc moins propice à l'échange furtif de ce premier baiser maladroit qui s'imprime à jamais dans votre cœur et votre mémoire.

Pour le reste, y'a pas grand-chose à dire, et, aussi curieux que cela puisse paraître, je m'en trouve un brin rassuré. Oh! il y a bien les maisons tout autour qui ne cessent de s'«encoquettir», les parterres qu'on se fait maintenant un point d'honneur de fleurir un peu plus chaque printemps que nous ramène Pâques, et les arbres, nos fameux arbres, qui, mieux que jamais, confirment leur mainmise sur le paysage (ça, c'était évidemment avant le «Grand Verglas» de janvier 1998!)… À part ça, c'est la p'tite vie tranquille, le bonheur purement banlieusard, quoi!

Mes parents, mes chers parents ne sont las plus de ce monde, mais, d'ici, dans ma nouvelle cour jouxtant l'ancienne, à embrasser du regard cette noble demeure où ils m'ont sagement… ou inconsciemment… laissé devenir un homme, je les sens tout proches. Tenez, c'est tout juste si je n'entends pas maman qui m'appelle pour le souper… ou papa qui enfonce prestement une rangée de clous… Mon coin, mon quartier, mon «boutte», je l'aime… de toutes mes tripes, et il m'habite autant que moi, je l'habite.

Jean-Paul Lanouette
jplanouette@sympatico.ca

lundi 25 novembre 2002