Dossier Ayreon - Argent Anthony Lucassen
par Jean-François Lamarre - Terra
IncognitaLe monde des musiques
progressives compte un nombre impressionnant d’artistes qui
passent souvent comme un éclair après avoir présenté un album
ayant
obtenu ou non un certain succès. D’autres perdurent et deviennent
des figures emblématiques du mouvement. Pensons à Roine Stolt et
ses Flower Kings, Neal Morse, Steven Wilson et Dream Theater.
Dans ce cercle très restreint, un Hollandais du nom de Arjen
Anthony Lucassen est en train de se tailler une place enviable.
Ce multi-instrumentiste, qui avait déjà un certain nombre de
réalisations à son actif lorsque nous l’avons remarqué, accumule
les réussites depuis près de 10 ans. Mais, comment expliquer
que tout ce que touche Lucassen semble se changer en or ?
Qu’a-t-il de si particulier ?
En fait, sa vie professionnelle a commencé en 1981. Il a alors
fait partie de trois groupes dont Pythagoras qui a produit un
album dans un style progressif et Bodine qui a également un disque
dans un style heavy-metal. Le plus important des trois est
Vengeance, un groupe à tendance rock, qui a existé de 1984 à 1992
et qui a réalisé 6 albums qui ont obtenu un succès considérable au
Pays-Bas et au Japon. En 1993, Arjen (prononcer
Ar-yenne) enregistre un premier album solo intitulé
« Anthony - Pools of Sorrow, Waves of Joys » qui ne suscite que
peu de réactions.
The final experiment - A rock opera (1995)
Loin de se décourager, Lucassen se remet à la tâche pour produire
ce qui sera son œuvre la plus aboutie jusque là. Modestement
appelé « The Final Experiment - A Rock Opera », ce premier album
sous le nom de Ayreon est basé sur un concept pas nécessairement
original mais traité de façon intéressante. En 2084,
l’humanité
s’est autodétruite par des années de négligence. Seuls quelques
scientifiques ont survécu et ont mis au point un programme
informatique appelé « Time Telepathy » dont le but est d’envoyer
un message dans le passé pour avertir les humains de ce qui les
attend s’ils ne changent pas leur façon de vivre. Ce message tombe
entre les mains d’un ménestrel appelé Ayreon qui finira par le
transmettre à nos contemporains.
Au départ, le nom Ayreon n’était que celui du
personnage. Il est ensuite devenu le nom du concept ou du groupe,
si vous préférez. Au fait, d’où vient-il ce nom qui présente des
similitudes avec le prénom de son concepteur? Simple hasard
peut-on lire sur son site. Lucassen cherchait simplement un nom
sonnant médiéval mais avec une connotation futuriste, c'est-à-dire
le «on» qui réfère à électron, neutron, entre autres. Voilà pour
les détails conceptuels, attardons nous maintenant sur le plus
important, c'est-à-dire la musique et c’est bien là que ça se
complique puisque si le concept est un peu pompeux, la musique
loge à la même enseigne. Par contre, notre homme s’est donné les
moyens de ses ambitions puisqu’en plus de ses multiples talents
d’instrumentiste, Arjen s’est adjoint les services de musiciens et
chanteurs de haut calibre provenant de groupes tels que Finch,
Bodine, Golden Earing, Kayak, Kindom Come et Vengeance.
On se demande comment un artiste alors peu connu
a pu rassembler autant de collaborateurs de cette qualité.
Simplement en envoyant une cassette qui leur a plu et leur a donné
le goût de participer à l’enregistrement, rien de plus. En effet,
l’idée d’un opéra-rock progressif à cette époque ne manquait pas
de charme. La présence d’invités prestigieux est donc une des
composantes de base du style de Ayreon. Une autre caractéristique
étant la qualité de la production qui est nettement au dessus de
ce qui se fait généralement. Finalement, toute la production de
Lucassen oscille entre la musique symphonique à (très) grand
déploiement, le folk médiéval et le progressif métal. Pour en
revenir au présent chapitre, il s’agit d’une œuvre en quatre actes
pour un total de 15 pièces dont les durées oscillent entre 2 à 11
minutes. Comme il se doit, elle s’ouvre sur une narration (une
autre caractéristique fondamentale) du personnage Merlin qui
explique aux destinataires du message (nous) de quoi il est
question. L’utilisation de ce personnage mythique amène un
rapprochement évident avec le «Myth and Legend…» de Rick Wakeman à
cause du style médiéval renforcé par la présence des claviers
imitant les trompettes.
Le parallèle s’arrête toutefois là puisque les
guitares parfois très hard de Lucassen confirment la particularité
de son style de même que les arrangements vocaux qui sont souvent
dans un registre du même ton. La partie «Oblivion» est d’ailleurs
chantée (?) d’une façon «death» pas très familière au progster
moyen. Et c’est là que réside le génie du Hollandais qui a réussi
à faire cohabiter des styles aussi peu compatibles. Tout de suite
après les vociférations de Jan-Chris De Koeijer, Lucassen joue
avec les contrastes en proposant le thème du ménestrel, « Ye
Courtyard Minstrel Boy » avec la flûte, le violoncelle et le
clavecin. Comme un éternel combat entre le bien et le mal, la
musique de Ayreon est un affrontement perpétuel entre les guitares
rugueuses du heavy metal et la musique symphonique d’où le côté
pompeux que certains trouveront
horripilant.
Au cours des 2 derniers actes, Ayreon (le ménestrel) devra
convaincre Merlin de sa sincérité pour obtenir son aide. Les
synthés sont plus présents pour imager cette partie de l’histoire
ce qui ne brise aucunement le côté homogène de la trame solidement
appuyée par la quinzaine de vocalistes tous plus doués les uns que
les autres. Et ce même si certains poussent leur performance
jusqu’à en devenir criards. Ce qui est conforme au côté hard du
personnage.
Il s’agit d’un premier album ambitieux qui, malheureusement, ne
parvient pas à convaincre tout le monde. Dans la communauté
progressive, une question se pose : Ayreon est-il un artiste
sincère ayant produit une oeuvre remarquable ou s’agit-il d’un
fumiste qui profite du contexte favorable aux albums concept? Une
chose est sûre, plus de 50 000 copies de «The final experiment» se
sont écoulées. Dans le monde progressif, c’est un exploit. Comme
tout ce que produit le musicien,
l’album est présenté avec un livret volumineux et soigné, ce qui
le rend encore plus attractif. De plus, il semble que son public
hard l’ait suivi dans son expérience progressive ce qui lui a
permis d’atteindre ce succès. Et puis, nul ne peut nier que Ayreon
fait dans la qualité.
Personnellement, je vous avouerai que je suis parmi ceux qui
vouent une grande admiration à l’œuvre de Lucassen et pas
seulement pour le projet Ayreon. Nous reviendrons plus tard sur
ses autres projets. De petites recherches sur le net permettront
de constater que si Arjen a beaucoup de supporteurs, plusieurs ne
prisent pas du tout sa musique. Mais il est difficile de plaire à
tous et vous savez ce qu’on dit : parlez-en en bien ou en mal…
Actual Fantasy (1996)
À peine un an après la sortie de «The Final
Experiment», Ayreon récidive avec un album assez différent,
c’est-à-dire moins heavy et surtout moins ronflant. Ce nouvel
effort est plus proche de Pink Floyd, une influence majeure pour
lui. En
effet,
le principal intéressé admet que Pink Floyd était son groupe
préféré lorsqu’il était adolescent. On remarque également que la
liste d’invités est beaucoup moins longue. Cela s’explique par le
fait que Lucassen dispose maintenant de son propre studio où il
peut prendre le temps de jouer lui-même une plus grande partie des
musiques. N’oublions pas que Lucassen est un multi instrumentiste.
Pour ce deuxième album, Lucassen a laissé de côté l’opéra rock
pour se concentrer sur un concept de son cru qui traite
d’imaginaire réel par opposition à la réalité virtuelle. Chaque
morceau raconte une histoire indépendante n’ayant d’autre lien que
celui du thème principal. Il a également mis plus d’emphase sur
les claviers d’où la référence plus directe à Pink Floyd. Les
morceaux sont aussi moins nombreux donc généralement plus longs (à
part une intro de 1:35 le format varie de 6 à 9 minutes).
D’un point de vue strictement progressif, cet
album en a plus les qualités puisque contrairement à son
prédécesseur, qui alterne continuellement entre une musique
progressive symphonique et un hard rock assez lourd, «Actual
Fantasy» développe ses thèmes de façon plus standard et surtout
sans verser dans le heavy. Le chant est également plus posé et
évite du même coup les connotations métal qui ont fait la marque
de «The Final Experiment». Ayant mis à profit ses idées récentes
ainsi que ses plus vieilles pour son album précédent, «Actual
Fantasy» s’avère plus uniforme et surtout plus cohérent.
Pour toutes ces raisons, ce dernier a plus de
chances de plaire au public progressif pur et dur. Pourtant, avec
le recul, il faut bien admettre qu’il manque à ce deuxième essai,
la folie et le côté grandiose de son prédécesseur. En effet,
malgré toutes les qualités que peuvent offrir des titres comme «Abbey
of Synn», «Computer Eyes» et «Beyond the Last Horizon», «Actual
Fantasy» est loin des sommets que Ayreon allait atteindre quelques
mois plus tard. Le public n’a d’ailleurs pas réagi aussi bien que
ne l’aurait espéré le Hollandais. Finalement, notez que le CD
comprend une partie CD-Rom avec une animation sur la pièce « The
Stranger From Within ».
Into The Electric Castle - A Space Opera (1998)
Très inspiré, Arjen est revenu à la formule de l’opéra rock qu’il
qualifie alors
«Space Opera». Et l’ambition est également au rendez-vous. Parlons
d’abord du concept. Il s’agit des aventures de 8 personnages qui
se retrouvent dans une dimension parallèle et qui devront, sous
les consignes d’une voix mystérieuse, se
rendre
au «Electric Castle» afin d’accomplir une tâche qui leur permettra
de regagner leur monde et leur époque. L’aventure n’a cependant
rien de banal puisqu’elle comporte des dangers qui peuvent être
mortels. Fort de ce concept, Lucassen a encore une fois fait appel
à une foule d’invités dont plusieurs ont accepté l’offre.
Parmi ceux-ci, notons la présence de Fish,
Damian Wilson, Anneke Van Giersbergen pour les voix et Clive Nolan,
Ton Sherpenzeel, Thijs Van Leer comme instrumentistes. La formule
initiée par « Final Experiment » est ici reconduite avec un
bonheur inespéré. Première constatation, la production, assurée
par le maître lui-même, est d’une pureté qui sort de l’ordinaire.
Le son est cristallin et rend justice à tous les petits détails
résultant des incessantes recherches du musicien. Ce sont là des
détails qui assurent la pérennité d’une œuvre et qui ajoutent un
intérêt à une pièce comme « The Castle Hall », par exemple.
L’aventure commence par l’intervention d’un narrateur qui
interviendra régulièrement pour situer l’auditeur dans le
contexte. Puis, vient la superbe « Isis and Osiris » interprétée
par Fish avec le support de 4 autres voix dont celle de Sharon Den
Adel dans le rôle de Indian et Damian Wilson dans celui de Knight.
Cette perle de 11 minutes contient toutes les qua-lités qui font
la force de Ayreon soit des joutes vocales, la délicatesse du folk
avec la mandoline, la puissance du Prog Metal et cette sonorité à
faire rêver tous les réalisateurs
d’albums. La trame sonore alterne entre le son lourd des guitares
et de l’orgue Hammond et les passages plus atmosphériques mais
aussi entre les sections dramatiques et celles plus légères. Ainsi
«Amazing Flight» avec son ton ludique succède à l’intensité de
«Isis and Osiris» pour déstabiliser l’auditeur et éviter l’ennui.
La troisième partie de «Amazing Flight » est par ailleurs le
théâtre d’une joute instrumentale plutôt bien réussie entre le
piano, la guitare et la flûte de Thijs Van Leer. Le premier disque
se termine sur la très folk «Tunnel of Light» et ses parties
vocales et un «Across the Rainbow Bridge» aussi lourd que
dramatique.
Après ce premier disque plutôt consistant, la très nuancée «The
Garden of Emotions» n’abaisse pas le rythme. Suit un des moments
que je préfère avec la divine «Valley of the Queens» chantée par
une Anneke Van Giersbergen qui pourrait être qualifiée de la même
façon. Pour replacer le balancier, la suite, «The Castle Hall» est
un brûlot qui alterne les sections très lourdes et les
arrangements d’une finesse aussi extrême. «Tower of Hope» paraît
alors bien légère malgré sa lourde rythmique répétitive
heureusement interrompue par un duo de clavier et guitare un peu
fusion. Vient ensuite un «Cosmos Fusion» qui passe par toute la
gamme des émotions. Débutant sur une partie atmosphérique
dramatique à souhait, une voix «death» prend le relais jusqu’à un
excellent solo de clavier qui débouche sur une finale plus rapide.
Je vous laisse découvrir le reste de l’aventure qui ne manque pas
d’intérêt non plus. En fait, il n’y a rien à jeter sur ce superbe
album qui demeure, selon moi, le sommet de la discographie de
Arjen Anthony Lucassen.
Universal Migrator (2000)
Part I - The Dream Sequencer
Part II - Flight of the Migrator
Avec 3 albums aussi forts, Arjen Anthony
Lucassen alias Ayreon jouit d'un statut pri-vilégié dans le monde
de la musique progressive. Comment peut-il maintenant donner suite
à « Into The Electric Castle » ? La réponse est arrivée moins de 2
ans plus tard par la sortie simultanée de 2 albums fort
différents. Au lieu d’en faire
un
double et de faire cohabiter ses velléités progressives «à la Pink
Floyd» et son penchant pour le Hard rock, le Hollandais a séparé
ces 2 tendances sur 2 disques en faisant le pari que les amateurs
allaient le suivre dans les deux projets.
Intitulé «Universal Migrator part : 1 The Dream
Sequencer», le premier disque contient la partie qu’on pourrait
qualifier d’atmosphérique même s’il faut quand même nuancer cette
qualification. Arjen ne s’est pas départi de son côté hard qui est
tout de même beaucoup plus discret. Le Hollandais affectionne
particulièrement «Wish You Were Here» de Pink Floyd et ce nouveau
pressage en est imprégné. La pièce titre qui ouvre l’album à la
façon de «Welcome to the Machine» se transforme ensuite en «Shine
On You Crazy Diamond », façon Ayreon bien sûr. Même le jeu de la
guitare est inspiré de David Guilmour. Lucassen s’est visiblement
fait plaisir et a sans doute réalisé un vieux rêve.
La liste des invités est encore une fois
impressionnante avec la participation de Floor Jansen (After
Forever), Lana Lane, Damian Wilson et Neal Morse, pour ne nommer
que les voix les plus connues. Les maîtres des claviers Clive
Nolan et Erik Norlander sont également de la partie. Les grands
moments ne manquent pas sur ces 9 morceaux à commencer par un « My
House On Mars » majestueux et langoureux. «2084» est un clin d’œil
évident au Pink Floyd de «Echoes» alors que «The Shooting Company»
et «Carry by the Wind» contiennent des parties influencées par le
folk celtique. Signalons aussi l’atypique « The First Man On Earth
», coécrite avec Norlander et Neal Morse, qui aurait pu figurer
sur un disque des barbus.
Il est curieux de constater à quel point Morse,
qui a depuis versé dans le mysticisme, a eu une grande influence
sur le Hollandais. Finalement, l’album se termine par la deuxième
partie de la pièce titre qui ajoute une similitude entre ce disque
et celui des maîtres Anglais. Encore une fois, ces 70 minutes sont
d’une grande qualité. Sans faille majeure. L’inspiration et
l’interprétation sont aussi sans reproche. Cependant, si le public
progressif est sans doute ravi par cette formule, cette première
partie du concept « Universal Migrator » souffre un peu d’un
manque de rebondissements. Jusqu’ici, à part peut-être « Actual
Fantasy », Ayreon faisait se côtoyer les passages hard et planants
soutenant ainsi l’attention de l’auditeur . Cette trame, superbe
certes, souffre toutefois de l’absence de cette dynamique.
Si la première partie regroupe des pièces plus
planantes dans un style très proche de « Wish You Were Here », la
seconde exploite le côté hard de la musique de Ayreon. Le but
avoué est de départager ses deux publics. Malgré tout, les deux
albums ne sont pas aussi différents qu'on aurait pu le penser.
Bien sûr, les parties de guitare sont plus rapides et la batterie
est plus lourde sur «Flight of the Migrator» tandis que les nappes
de synthés sont plus présentes sur «The Dream Sequencer» mais ces
cara-ctéristiques étaient bien présentes sur les œuvres
antérieures où elles cohabitaient harmonieusement. «Chaos» qui
ouvre ce second disque semble vouloir signifier clairement que
nous sommes dans un autre monde. Avec son rythme rapide solidement
appuyé par l’usage de la double grosse caisse, la pièce d’introdu-ction
est un brûlot incomparable.
Cependant, l’album recèle des trésors inespérés
tels que la superbe «Dawn of a Million Souls» introduite de façon
atmosphérique et appuyée par un orgue Hammond lourd et jouissif. «Into
the Black Hole» avec sa longue introduction planante et la voix de
Bruce Dickinson n’est pas piquée des vers non plus. Comme son faux
jumeau, cet album ne contient que du matériel de choix mais dans
un registre nettement prog métal. Cette deuxième partie est donc
moins susceptible de satisfaire le public progressif malgré des
invités de haut calibre comme Russel Allen (Symphony X), Damien
Wilson et Keiko Kumaguai (Ars Nova) en plus de plusieurs habitués.
Globalement, cette nouvelle approche me semble moins intéressante.
La force de Ayreon réside selon moi dans l'alternance des morceaux
atmosphériques et ceux à tendance hard. Cette alternance se fait
généralement à l’intérieur d’une même pièce. Il en résulte 2
albums superbes mais moins contrastés que par le passé. La
critique peut sembler sévère mais, lorsqu’on parle de Ayreon, on
est dans une classe supérieure.
Ayreonauts Only
Il faudra attendre un petit moment avant de voir
apparaître un véritable nouvel
album de Ayreon. Pourtant, Arjen Anthony
Lucassen ne va pas chômer pour autant. D’ailleurs, dès la fin de
l’année 2000, il met sur le marché un album contenant des versions
alternatives de morceaux parus sur des albums précédents avec
souvent des parties vocales différentes. Comme son titre
l’indique, il s’adresse à un public de supporteurs qui y trouvera
quand même son compte. Le principal intérêt réside dans la
présence de Astrid Van Der Veen sur une version acoustique de
«Temple of the Cat» et sur «Cold Metal», un aperçu d’un album à
paraître qui met en vedette la jeune chanteuse alors âgée de 14
ans seulement.
Ambeon
Sous le nom de Ambeon (AMBient AyrEON), l’album
intitulé «Fate of a Dreamer» paraît quelque mois plus tard. L’idée
de départ était de produire un disque ambiant
instrumental
s’inspirant de matériel déjà paru et arrangé de façon différente.
Afin de donner un visage plus humain au projet, Lucassen a eu
l’idée d’ajouter des parties vocales sur 1 ou 2 pièces. Cependant,
la découverte d’une jeune chan-teuse Hollandaise de seulement 14
ans est venue bousculer ses plans. Arjen lui a donc demandé
d’écrire des textes sur les musiques et de chanter sur les 10
pièces.
Le public habitué retrouvera des airs connus
auxquels la voix de la jeune merveille donne une nouvelle
dimension. Quant au terme «ambiant», il est peu probable que
l’amateur de ce type de musique se laisse charmer puisque Lucassen
n’a pas rangé sa guitare électrique. Le tout ne sonne finalement
pas aussi différent que le titre le laisse croire et ce malgré la
présence d’instruments comme les uilleann pipes et les violons.
Star One
Faisant la part belle au côté heavy de son art,
«Star One» est inspiré d’un film de science-fiction dont
l’intrigue se situe dans l’espace. La mention «Space Metal»
ne
laisse que peu d’équivoque sur le sujet. La pièce d’ouverture, un
speed metal digne des ténors du genre, donne le ton à un album qui
se destine aux fans de Prog Metal. Les fidèles comparses Russell
Allen, Damian Wilson, Floor Jansen, Robert Soeterboek, Erik
Norlander et bien d’autres sont également de la partie. « Songs of
the Ocean » et « Master of Darkness » sont aussi à ranger dans
cette catégorie. Pourtant, nous ne sommes jamais très loin du
style Ayreon.
La délicieuse «High Moon» avec son intro à
l’orgue et sa rythmique très lourde n’aurait pas nécessairement
déparé un album de Ayreon. La dramatique «The Eye of Ra» avec sa
finale en chœur atteint un niveau de sophistication qui dépasse
les cadres du métal à l’état pur. La même remarque s’applique à «Starchild»
mais dans une moindre mesure. Cependant, il faut admettre que «Sandrider»
et «Perfect Survivor» seraient un peu banales si ce n’était des
arrangements vocaux toujours impeccables. Au total, «Star One»
tire bien son épingle du jeu et se compare avantageusement à
«Flight of the Migrator».
Suite à sa parution, Lucassen a mis sur pied une tournée avec la
majeure partie de cette équipe. Le DVD «Live on Earth» témoigne de
ce concert (voir Terra Incognita no. 2) qui mêle avec un bonheur
égal les morceaux de Star One et Ayreon faisant ainsi la preuve de
la qualité de son matériel.
The Human Equation
Nous avons vu que les 4 ans qui séparent «Universal
Migrator» de «The Human Equation» n’ont pas été des vacances pour
Lucassen qui en plus des réalisations décrites précédemment a
collaboré à plusieurs albums qu’il serait fastidieux de
décrire
ici. Nous vous renvoyons à son site Internet pour ces
informations. Ces collaborations lui ont permis d’élargir son
cercle de connaissances et de proposer une foule de nouveaux
invités parmi lesquels les plus remarqués sont Heather Findlay (Mostley
Autumn), Mikael Akerfeldt (Opeth) et James Labrie (Dream Theater).
Et il n’y a pas seulement du côté des interprètes qu’il y a un
renouvellement puisque le thème de la science-fiction que Lucassen
affectionne visiblement, a été mis de coté au profit d’une
aventure tout à fait contemporaine.
Il s’agit de l’histoire d’un homme d’affaires
qui sombre dans le coma suite à un accident. Nous suivrons le
cheminement de ce type pendant 20 jours qui sont en fait les
pièces de l’album double. Au cours de ces 20 jours, notre homme
sera confronté à des situations, des émotions ou à des membres de
son entourage. Malgré une évolution musicale évidente, la musique
de Ayreon ne nous éloigne pas trop des terres connues. Suite à une
première partie planante «Day One : Vigil», où la femme du héros
et son meilleur ami se demandent s’il ressent quelque chose, les
guitares et l’orgue reprennent leur place sur « Day Two :
Isolation », une pièce de 8 minutes très nuancée où le Hollandais
passe par toute la gamme de rythmes avec le talent qu’on lui
connaît.
Les arrangements de voix, particulièrement sur «Day
Three : Pain», sont encore plus complexes que par le passé avec un
retour d’un chant «death» interprété par Devin Townsend. Plusieurs
morceaux suivent le modèle de prédilection du concepteur,
c'est-à-dire une introduction atmosphérique suivie d’un mur de
guitares et des parties de claviers. La très belle «Day Five :
Voices» est un bon exemple de cette structure que Ayreon maîtrise
à merveille et qu’il sait renouveler. Les guitares bien acérées et
l’orgue Hammond continuent de tisser la toile de fond de cette
trame de plus de 100 minutes. Toutefois, la facette celtique bien
présente sur Ambeon est une partie intégrante d’un certain nombre
de morceaux.
Dans ce registre, «Day Six : Childhood» et « Day
Nine : Playground », sont à citer en exemple pour leur grande
beauté. La très accrocheuse «Day Seven : Hope», pour sa part, ne
manquera pas d’attirer l’attention pour son côté immédiat. Encore
une fois, il n’y a pas de faute de goût sur ces 20 nouvelles
pièces de 1 à 9 minutes. Il est donc peu probable que l’auditeur
s’ennuie avec cette nouvelle production même s’il est un peu tôt
pour dire qu’elle est supérieure à «Into the Electric Castle». Il
faudra un peu de recul pour bien assimiler tout ça. Finalement,
prenez note que l’album est offert en trois versions soit en
double cd, avec un DVD et finalement en édition limitée avec DVD.
La suite ?
Depuis 10 ans, Arjen Anthony Lucassen aligne les projets sans faux
pas. Le talent qu’il a mis jusqu’ici pour s’assurer la
collaboration des chanteurs et instrumentistes parmi les plus
talentueux lui a permis d’atteindre des sommets créatifs et de s’y
maintenir. La seule chose à regretter c’est que les chances de le
voir en concert sont plutôt minces. Pour le travail de studio, il
est toujours possible de le faire à distance même si Lucassen
préfère avoir ses invités près de lui. Mais, pour la scène, c’est
une autre problématique qu’il a, par contre, déjà résolue avec
«Live On Earth» disponible sur DVD. Chose certaine, l’œuvre de
Ayreon vieillit bien et l’écoute successive n’use pas le plaisir.
De plus, sa capacité de renouvellement semble assez grande pour
que nous puissions compter sur lui encore longtemps. Si ce n’est
déjà fait, Terra Incognita vous invite à faire connaissance avec
un des plus grands de la musique progressive des années 2000.
-Jean-François LAMARRE