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Dossier Ayreon - Argent Anthony Lucassen
par Jean-François Lamarre - Terra Incognita

Le monde des musiques progressives compte un nombre impressionnant d’artistes qui passent souvent comme un éclair après avoir présenté un album ayant obtenu ou non un certain succès. D’autres perdurent et deviennent des figures emblématiques du mouvement. Pensons à Roine Stolt et ses Flower Kings, Neal Morse, Steven Wilson et Dream Theater.  Dans ce cercle très restreint, un Hollandais du nom de Arjen Anthony Lucassen est en train de se tailler une place enviable.  Ce multi-instrumentiste, qui avait déjà un certain nombre de réalisations à son actif lorsque nous l’avons remarqué, accumule les réussites depuis près de 10 ans.  Mais, comment expliquer que tout ce que touche Lucassen semble se changer en or ? Qu’a-t-il de si particulier ?

En fait, sa vie professionnelle a commencé en 1981. Il a alors fait partie de trois groupes dont Pythagoras qui a produit un album dans un style progressif et Bodine qui a également un disque dans un style heavy-metal. Le plus important des trois est Vengeance, un groupe à tendance rock, qui a existé de 1984 à 1992 et qui a réalisé 6 albums qui ont obtenu un succès considérable au Pays-Bas et au Japon. En 1993, Arjen (prononcer
Ar-yenne) enregistre un premier album solo intitulé « Anthony - Pools of Sorrow, Waves of Joys » qui ne suscite que peu de réactions.

The final experiment - A rock opera (1995)

Loin de se décourager, Lucassen se remet à la tâche pour produire ce qui sera son œuvre la plus aboutie jusque là. Modestement appelé « The Final Experiment - A Rock Opera », ce premier album sous le nom de Ayreon est basé sur un concept pas nécessairement original mais traité de façon intéressante. En 2084, l’humanité s’est autodétruite par des années de négligence. Seuls quelques scientifiques ont survécu et ont mis au point un programme informatique appelé « Time Telepathy » dont le but est d’envoyer un message dans le passé pour avertir les humains de ce qui les attend s’ils ne changent pas leur façon de vivre. Ce message tombe entre les mains d’un ménestrel appelé Ayreon qui finira par le transmettre à nos contemporains.

Au départ, le nom Ayreon n’était que celui du personnage. Il est ensuite devenu le nom du concept ou du groupe, si vous préférez. Au fait, d’où vient-il ce nom qui présente des similitudes avec le prénom de son concepteur? Simple hasard peut-on lire sur son site. Lucassen cherchait simplement un nom sonnant médiéval mais avec une connotation futuriste, c'est-à-dire le «on» qui réfère à électron, neutron, entre autres. Voilà pour les détails conceptuels, attardons nous maintenant sur le plus important, c'est-à-dire la musique et c’est bien là que ça se complique puisque si le concept est un peu pompeux, la musique loge à la même enseigne. Par contre, notre homme s’est donné les moyens de ses ambitions puisqu’en plus de ses multiples talents d’instrumentiste, Arjen s’est adjoint les services de musiciens et chanteurs de haut calibre provenant de groupes tels que Finch, Bodine, Golden Earing, Kayak, Kindom Come et Vengeance.

On se demande comment un artiste alors peu connu a pu rassembler autant de collaborateurs de cette qualité. Simplement en envoyant une cassette qui leur a plu et leur a donné le goût de participer à l’enregistrement, rien de plus. En effet, l’idée d’un opéra-rock progressif à cette époque ne manquait pas de charme. La présence d’invités prestigieux est donc une des composantes de base du style de Ayreon. Une autre caractéristique étant la qualité de la production qui est nettement au dessus de ce qui se fait généralement. Finalement, toute la production de Lucassen oscille entre la musique symphonique à (très) grand déploiement, le folk médiéval et le progressif métal. Pour en revenir au présent chapitre, il s’agit d’une œuvre en quatre actes pour un total de 15 pièces dont les durées oscillent entre 2 à 11 minutes. Comme il se doit, elle s’ouvre sur une narration (une autre caractéristique fondamentale) du personnage Merlin qui explique aux destinataires du message (nous) de quoi il est question. L’utilisation de ce personnage mythique amène un rapprochement évident avec le «Myth and Legend…» de Rick Wakeman à cause du style médiéval renforcé par la présence des claviers imitant les trompettes.

Le parallèle s’arrête toutefois là puisque les guitares parfois très hard de Lucassen confirment la particularité de son style de même que les arrangements vocaux qui sont souvent dans un registre du même ton. La partie «Oblivion» est d’ailleurs chantée (?) d’une façon «death» pas très familière au progster moyen. Et c’est là que réside le génie du Hollandais qui a réussi à faire cohabiter des styles aussi peu compatibles. Tout de suite après les vociférations de Jan-Chris De Koeijer, Lucassen joue avec les contrastes en proposant le thème du ménestrel, « Ye Courtyard Minstrel Boy » avec la flûte, le violoncelle et le clavecin. Comme un éternel combat entre le bien et le mal, la musique de Ayreon est un affrontement perpétuel entre les guitares rugueuses du heavy metal et la musique symphonique d’où le côté pompeux que certains trouveront
horripilant.

Au cours des 2 derniers actes, Ayreon (le ménestrel) devra convaincre Merlin de sa sincérité pour obtenir son aide. Les synthés sont plus présents pour imager cette partie de l’histoire ce qui ne brise aucunement le côté homogène de la trame solidement appuyée par la quinzaine de vocalistes tous plus doués les uns que les autres. Et ce même si certains poussent leur performance jusqu’à en devenir criards. Ce qui est conforme au côté hard du personnage.

Il s’agit d’un premier album ambitieux qui, malheureusement, ne parvient pas à convaincre tout le monde. Dans la communauté progressive, une question se pose : Ayreon est-il un artiste sincère ayant produit une oeuvre remarquable ou s’agit-il d’un fumiste qui profite du contexte favorable aux albums concept? Une chose est sûre, plus de 50 000 copies de «The final experiment» se sont écoulées. Dans le monde progressif, c’est un exploit. Comme tout ce que produit le musicien,
l’album est présenté avec un livret volumineux et soigné, ce qui le rend encore plus attractif. De plus, il semble que son public hard l’ait suivi dans son expérience progressive ce qui lui a permis d’atteindre ce succès. Et puis, nul ne peut nier que Ayreon fait dans la qualité.

Personnellement, je vous avouerai que je suis parmi ceux qui vouent une grande admiration à l’œuvre de Lucassen et pas seulement pour le projet Ayreon. Nous reviendrons plus tard sur ses autres projets. De petites recherches sur le net permettront de constater que si Arjen a beaucoup de supporteurs, plusieurs ne prisent pas du tout sa musique. Mais il est difficile de plaire à tous et vous savez ce qu’on dit : parlez-en en bien ou en mal…

Actual Fantasy (1996)

À peine un an après la sortie de «The Final Experiment», Ayreon récidive avec un album assez différent, c’est-à-dire moins heavy et surtout moins ronflant. Ce nouvel effort est plus proche de Pink Floyd, une influence majeure pour lui. En effet, le principal intéressé admet que Pink Floyd était son groupe préféré lorsqu’il était adolescent. On remarque également que la liste d’invités est beaucoup moins longue. Cela s’explique par le fait que Lucassen dispose maintenant de son propre studio où il peut prendre le temps de jouer lui-même une plus grande partie des musiques. N’oublions pas que Lucassen est un multi instrumentiste.

Pour ce deuxième album, Lucassen a laissé de côté l’opéra rock pour se concentrer sur un concept de son cru qui traite d’imaginaire réel par opposition à la réalité virtuelle. Chaque morceau raconte une histoire indépendante n’ayant d’autre lien que celui du thème principal. Il a également mis plus d’emphase sur les claviers d’où la référence plus directe à Pink Floyd. Les morceaux sont aussi moins nombreux donc généralement plus longs (à part une intro de 1:35 le format varie de 6 à 9 minutes).

D’un point de vue strictement progressif, cet album en a plus les qualités puisque contrairement à son prédécesseur, qui alterne continuellement entre une musique progressive symphonique et un hard rock assez lourd, «Actual Fantasy» développe ses thèmes de façon plus standard et surtout sans verser dans le heavy. Le chant est également plus posé et évite du même coup les connotations métal qui ont fait la marque de «The Final Experiment». Ayant mis à profit ses idées récentes ainsi que ses plus vieilles pour son album précédent, «Actual Fantasy» s’avère plus uniforme et surtout plus cohérent.

Pour toutes ces raisons, ce dernier a plus de chances de plaire au public progressif pur et dur. Pourtant, avec le recul, il faut bien admettre qu’il manque à ce deuxième essai, la folie et le côté grandiose de son prédécesseur. En effet, malgré toutes les qualités que peuvent offrir des titres comme «Abbey of Synn», «Computer Eyes» et «Beyond the Last Horizon», «Actual Fantasy» est loin des sommets que Ayreon allait atteindre quelques mois plus tard. Le public n’a d’ailleurs pas réagi aussi bien que ne l’aurait espéré le Hollandais. Finalement, notez que le CD comprend une partie CD-Rom avec une animation sur la pièce « The Stranger From Within ».

Into The Electric Castle - A Space Opera (1998)

Très inspiré, Arjen est revenu à la formule de l’opéra rock qu’il qualifie alors
«Space Opera». Et l’ambition est également au rendez-vous. Parlons d’abord du concept. Il s’agit des aventures de 8 personnages qui se retrouvent dans une dimension parallèle et qui devront, sous les consignes d’une voix mystérieuse, se rendre au «Electric Castle» afin d’accomplir une tâche qui leur permettra de regagner leur monde et leur époque. L’aventure n’a cependant rien de banal puisqu’elle comporte des dangers qui peuvent être mortels. Fort de ce concept, Lucassen a encore une fois fait appel à une foule d’invités dont plusieurs ont accepté l’offre.

Parmi ceux-ci, notons la présence de Fish, Damian Wilson, Anneke Van Giersbergen pour les voix et Clive Nolan, Ton Sherpenzeel, Thijs Van Leer comme instrumentistes. La formule initiée par « Final Experiment » est ici reconduite avec un bonheur inespéré. Première constatation, la production, assurée par le maître lui-même, est d’une pureté qui sort de l’ordinaire. Le son est cristallin et rend justice à tous les petits détails résultant des incessantes recherches du musicien. Ce sont là des détails qui assurent la pérennité d’une œuvre et qui ajoutent un intérêt à une pièce comme « The Castle Hall », par exemple.

L’aventure commence par l’intervention d’un narrateur qui interviendra régulièrement pour situer l’auditeur dans le contexte. Puis, vient la superbe « Isis and Osiris » interprétée par Fish avec le support de 4 autres voix dont celle de Sharon Den Adel dans le rôle de Indian et Damian Wilson dans celui de Knight. Cette perle de 11 minutes contient toutes les qua-lités qui font la force de Ayreon soit des joutes vocales, la délicatesse du folk avec la mandoline, la puissance du Prog Metal et cette sonorité à faire rêver tous les réalisateurs
d’albums. La trame sonore alterne entre le son lourd des guitares et de l’orgue Hammond et les passages plus atmosphériques mais aussi entre les sections dramatiques et celles plus légères. Ainsi «Amazing Flight» avec son ton ludique succède à l’intensité de «Isis and Osiris» pour déstabiliser l’auditeur et éviter l’ennui. La troisième partie de «Amazing Flight » est par ailleurs le théâtre d’une joute instrumentale plutôt bien réussie entre le piano, la guitare et la flûte de Thijs Van Leer. Le premier disque se termine sur la très folk «Tunnel of Light» et ses parties vocales et un «Across the Rainbow Bridge» aussi lourd que dramatique.

Après ce premier disque plutôt consistant, la très nuancée «The Garden of Emotions» n’abaisse pas le rythme. Suit un des moments que je préfère avec la divine «Valley of the Queens» chantée par une Anneke Van Giersbergen qui pourrait être qualifiée de la même façon. Pour replacer le balancier, la suite, «The Castle Hall» est un brûlot qui alterne les sections très lourdes et les arrangements d’une finesse aussi extrême. «Tower of Hope» paraît alors bien légère malgré sa lourde rythmique répétitive heureusement interrompue par un duo de clavier et guitare un peu fusion. Vient ensuite un «Cosmos Fusion» qui passe par toute la gamme des émotions. Débutant sur une partie atmosphérique dramatique à souhait, une voix «death» prend le relais jusqu’à un excellent solo de clavier qui débouche sur une finale plus rapide. Je vous laisse découvrir le reste de l’aventure qui ne manque pas d’intérêt non plus. En fait, il n’y a rien à jeter sur ce superbe album qui demeure, selon moi, le sommet de la discographie de Arjen Anthony Lucassen.

Universal Migrator (2000)
Part I - The Dream Sequencer
Part II - Flight of the Migrator

Avec 3 albums aussi forts, Arjen Anthony Lucassen alias Ayreon jouit d'un statut pri-vilégié dans le monde de la musique progressive. Comment peut-il maintenant donner suite à « Into The Electric Castle » ? La réponse est arrivée moins de 2 ans plus tard par la sortie simultanée de 2 albums fort différents. Au lieu d’en faire un double et de faire cohabiter ses velléités progressives «à la Pink Floyd» et son penchant pour le Hard rock, le Hollandais a séparé ces 2 tendances sur 2 disques en faisant le pari que les amateurs allaient le suivre dans les deux projets.

Intitulé «Universal Migrator part : 1 The Dream Sequencer», le premier disque contient la partie qu’on pourrait qualifier d’atmosphérique même s’il faut quand même nuancer cette qualification. Arjen ne s’est pas départi de son côté hard qui est tout de même beaucoup plus discret. Le Hollandais affectionne particulièrement «Wish You Were Here» de Pink Floyd et ce nouveau pressage en est imprégné. La pièce titre qui ouvre l’album à la façon de «Welcome to the Machine» se transforme ensuite en «Shine On You Crazy Diamond », façon Ayreon bien sûr. Même le jeu de la guitare est inspiré de David Guilmour. Lucassen s’est visiblement fait plaisir et a sans doute réalisé un vieux rêve.

La liste des invités est encore une fois impressionnante avec la participation de Floor Jansen (After Forever), Lana Lane, Damian Wilson et Neal Morse, pour ne nommer que les voix les plus connues. Les maîtres des claviers Clive Nolan et Erik Norlander sont également de la partie. Les grands moments ne manquent pas sur ces 9 morceaux à commencer par un « My House On Mars » majestueux et langoureux. «2084» est un clin d’œil évident au Pink Floyd de «Echoes» alors que «The Shooting Company» et «Carry by the Wind» contiennent des parties influencées par le folk celtique. Signalons aussi l’atypique « The First Man On Earth », coécrite avec Norlander et Neal Morse, qui aurait pu figurer sur un disque des barbus.

Il est curieux de constater à quel point Morse, qui a depuis versé dans le mysticisme, a eu une grande influence sur le Hollandais. Finalement, l’album se termine par la deuxième partie de la pièce titre qui ajoute une similitude entre ce disque et celui des maîtres Anglais. Encore une fois, ces 70 minutes sont d’une grande qualité. Sans faille majeure. L’inspiration et l’interprétation sont aussi sans reproche. Cependant, si le public progressif est sans doute ravi par cette formule, cette première partie du concept « Universal Migrator » souffre un peu d’un manque de rebondissements. Jusqu’ici, à part peut-être « Actual Fantasy », Ayreon faisait se côtoyer les passages hard et planants soutenant ainsi l’attention de l’auditeur . Cette trame, superbe certes, souffre toutefois de l’absence de cette dynamique.

Si la première partie regroupe des pièces plus planantes dans un style très proche de « Wish You Were Here », la seconde exploite le côté hard de la musique de Ayreon. Le but avoué est de départager ses deux publics. Malgré tout, les deux albums ne sont pas aussi différents qu'on aurait pu le penser. Bien sûr, les parties de guitare sont plus rapides et la batterie est plus lourde sur «Flight of the Migrator» tandis que les nappes de synthés sont plus présentes sur «The Dream Sequencer» mais ces cara-ctéristiques étaient bien présentes sur les œuvres antérieures où elles cohabitaient harmonieusement. «Chaos» qui ouvre ce second disque semble vouloir signifier clairement que nous sommes dans un autre monde. Avec son rythme rapide solidement appuyé par l’usage de la double grosse caisse, la pièce d’introdu-ction est un brûlot incomparable.

Cependant, l’album recèle des trésors inespérés tels que la superbe «Dawn of a Million Souls» introduite de façon atmosphérique et appuyée par un orgue Hammond lourd et jouissif. «Into the Black Hole» avec sa longue introduction planante et la voix de Bruce Dickinson n’est pas piquée des vers non plus. Comme son faux jumeau, cet album ne contient que du matériel de choix mais dans un registre nettement prog métal. Cette deuxième partie est donc moins susceptible de satisfaire le public progressif malgré des invités de haut calibre comme Russel Allen (Symphony X), Damien Wilson et Keiko Kumaguai (Ars Nova) en plus de plusieurs habitués. Globalement, cette nouvelle approche me semble moins intéressante. La force de Ayreon réside selon moi dans l'alternance des morceaux atmosphériques et ceux à tendance hard. Cette alternance se fait généralement à l’intérieur d’une même pièce. Il en résulte 2 albums superbes mais moins contrastés que par le passé. La critique peut sembler sévère mais, lorsqu’on parle de Ayreon, on est dans une classe supérieure.

Ayreonauts Only

Il faudra attendre un petit moment avant de voir apparaître un véritable nouvel album de Ayreon. Pourtant, Arjen Anthony Lucassen ne va pas chômer pour autant. D’ailleurs, dès la fin de l’année 2000, il met sur le marché un album contenant des versions alternatives de morceaux parus sur des albums précédents avec souvent des parties vocales différentes. Comme son titre l’indique, il s’adresse à un public de supporteurs qui y trouvera quand même son compte. Le principal intérêt réside dans la présence de Astrid Van Der Veen sur une version acoustique de «Temple of the Cat» et sur «Cold Metal», un aperçu d’un album à paraître qui met en vedette la jeune chanteuse alors âgée de 14 ans seulement.

Ambeon

Sous le nom de Ambeon (AMBient AyrEON), l’album intitulé «Fate of a Dreamer» paraît quelque mois plus tard. L’idée de départ était de produire un disque ambiant instrumental s’inspirant de matériel déjà paru et arrangé de façon différente. Afin de donner un visage plus humain au projet, Lucassen a eu l’idée d’ajouter des parties vocales sur 1 ou 2 pièces. Cependant, la découverte d’une jeune chan-teuse Hollandaise de seulement 14 ans est venue bousculer ses plans. Arjen lui a donc demandé d’écrire des textes sur les musiques et de chanter sur les 10 pièces.

Le public habitué retrouvera des airs connus auxquels la voix de la jeune merveille donne une nouvelle dimension. Quant au terme «ambiant», il est peu probable que l’amateur de ce type de musique se laisse charmer puisque Lucassen n’a pas rangé sa guitare électrique. Le tout ne sonne finalement pas aussi différent que le titre le laisse croire et ce malgré la présence d’instruments comme les uilleann pipes et les violons.

Star One

Faisant la part belle au côté heavy de son art, «Star One» est inspiré d’un film de science-fiction dont l’intrigue se situe dans l’espace. La mention «Space Metal» ne laisse que peu d’équivoque sur le sujet. La pièce d’ouverture, un speed metal digne des ténors du genre, donne le ton à un album qui se destine aux fans de Prog Metal. Les fidèles comparses Russell Allen, Damian Wilson, Floor Jansen, Robert Soeterboek, Erik Norlander et bien d’autres sont également de la partie. « Songs of the Ocean » et « Master of Darkness » sont aussi à ranger dans cette catégorie. Pourtant, nous ne sommes jamais très loin du style Ayreon.

La délicieuse «High Moon» avec son intro à l’orgue et sa rythmique très lourde n’aurait pas nécessairement déparé un album de Ayreon. La dramatique «The Eye of Ra» avec sa finale en chœur atteint un niveau de sophistication qui dépasse les cadres du métal à l’état pur. La même remarque s’applique à «Starchild» mais dans une moindre mesure. Cependant, il faut admettre que «Sandrider» et «Perfect Survivor» seraient un peu banales si ce n’était des arrangements vocaux toujours impeccables. Au total, «Star One» tire bien son épingle du jeu et se compare avantageusement à «Flight of the Migrator».

Suite à sa parution, Lucassen a mis sur pied une tournée avec la majeure partie de cette équipe. Le DVD «Live on Earth» témoigne de ce concert (voir Terra Incognita no. 2) qui mêle avec un bonheur égal les morceaux de Star One et Ayreon faisant ainsi la preuve de la qualité de son matériel.

The Human Equation

Nous avons vu que les 4 ans qui séparent «Universal Migrator» de «The Human Equation» n’ont pas été des vacances pour Lucassen qui en plus des réalisations décrites précédemment a collaboré à plusieurs albums qu’il serait fastidieux de décrire ici. Nous vous renvoyons à son site Internet pour ces informations. Ces collaborations lui ont permis d’élargir son cercle de connaissances et de proposer une foule de nouveaux invités parmi lesquels les plus remarqués sont Heather Findlay (Mostley Autumn), Mikael Akerfeldt (Opeth) et James Labrie (Dream Theater). Et il n’y a pas seulement du côté des interprètes qu’il y a un renouvellement puisque le thème de la science-fiction que Lucassen affectionne visiblement, a été mis de coté au profit d’une aventure tout à fait contemporaine.

Il s’agit de l’histoire d’un homme d’affaires qui sombre dans le coma suite à un accident. Nous suivrons le cheminement de ce type pendant 20 jours qui sont en fait les pièces de l’album double. Au cours de ces 20 jours, notre homme sera confronté à des situations, des émotions ou à des membres de son entourage. Malgré une évolution musicale évidente, la musique de Ayreon ne nous éloigne pas trop des terres connues. Suite à une première partie planante «Day One : Vigil», où la femme du héros et son meilleur ami se demandent s’il ressent quelque chose, les guitares et l’orgue reprennent leur place sur « Day Two : Isolation », une pièce de 8 minutes très nuancée où le Hollandais passe par toute la gamme de rythmes avec le talent qu’on lui connaît.

Les arrangements de voix, particulièrement sur «Day Three : Pain», sont encore plus complexes que par le passé avec un retour d’un chant «death» interprété par Devin Townsend. Plusieurs morceaux suivent le modèle de prédilection du concepteur, c'est-à-dire une introduction atmosphérique suivie d’un mur de guitares et des parties de claviers. La très belle «Day Five : Voices» est un bon exemple de cette structure que Ayreon maîtrise à merveille et qu’il sait renouveler. Les guitares bien acérées et l’orgue Hammond continuent de tisser la toile de fond de cette trame de plus de 100 minutes. Toutefois, la facette celtique bien présente sur Ambeon est une partie intégrante d’un certain nombre de morceaux.

Dans ce registre, «Day Six : Childhood» et « Day Nine : Playground », sont à citer en exemple pour leur grande beauté. La très accrocheuse «Day Seven : Hope», pour sa part, ne manquera pas d’attirer l’attention pour son côté immédiat. Encore une fois, il n’y a pas de faute de goût sur ces 20 nouvelles pièces de 1 à 9 minutes. Il est donc peu probable que l’auditeur s’ennuie avec cette nouvelle production même s’il est un peu tôt pour dire qu’elle est supérieure à «Into the Electric Castle». Il faudra un peu de recul pour bien assimiler tout ça. Finalement, prenez note que l’album est offert en trois versions soit en double cd, avec un DVD et finalement en édition limitée avec DVD.

La suite ?
Depuis 10 ans, Arjen Anthony Lucassen aligne les projets sans faux pas. Le talent qu’il a mis jusqu’ici pour s’assurer la collaboration des chanteurs et instrumentistes parmi les plus talentueux lui a permis d’atteindre des sommets créatifs et de s’y maintenir. La seule chose à regretter c’est que les chances de le voir en concert sont plutôt minces. Pour le travail de studio, il est toujours possible de le faire à distance même si Lucassen préfère avoir ses invités près de lui. Mais, pour la scène, c’est une autre problématique qu’il a, par contre, déjà résolue avec «Live On Earth» disponible sur DVD. Chose certaine, l’œuvre de Ayreon vieillit bien et l’écoute successive n’use pas le plaisir. De plus, sa capacité de renouvellement semble assez grande pour que nous puissions compter sur lui encore longtemps. Si ce n’est déjà fait, Terra Incognita vous invite à faire connaissance avec un des plus grands de la musique progressive des années 2000.

-Jean-François LAMARRE

 

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